
Faut-il encore proposer une anesthésie-analgésie péridurale aux patients traités par anticoagulants ou antiagrégants plaquettaires ? Une étude multicentrique réalisée aux USA dans 11 centres chirurgicaux et 6 centres d’obstétrique semble prouver le contraire : effectuée via l’analyse rétrospective des dossiers d’anesthésie informatisés ou des dossiers d’assurance qualité, elle a évalué le risque et l’évolution des hématomes périmédullaires (HPM) ayant nécessité une laminectomie, et survenus dans les suites de la pose d’un cathéter péridural.
Les dossiers de tous les patients ayant bénéficié d’une technique d’anesthésie-analgésie péridurale (APD) ont été revus dans les 6 semaines, à la recherche d’une éventuelle laminectomie décompressive pour HPM. Les données démographiques de l’ensemble des malades ayant bénéficié d’une APD, leurs comorbidités, les détails sur la réalisation de la pose du cathéter, les paramètres d’hémostase pré- per et postopératoires, la prise de traitement anticoagulant ou antiagrégant plaquettaire, la symptomatologie clinique révélatrice de l’HPM, les résultats du bilan radiologique, le délai entre la réalisation de l’imagerie et la laminectomie, l’évolution et le statut neurologique en sortie d’hospitalisation ont été recueillis et analysés.
Un hématome pour 20 000 anesthésies péridurales
Malgré quelques faiblesses méthodologiques (étude rétrospective ignorant les complications hémorragiques n’ayant pas nécessité d’abord chirurgical ou celles prises en charge dans d’autres établissements, surestimation vraisemblable des séquelles neurologiques du fait de leur évaluation précoce, pas d’inclusion des tentatives infructueuses de pose d’APD), cette étude met surtout en évidence une fréquence globale de survenue d’HPM évaluée à 1/20 326 poses de cathéter, en distinguant :
– Un risque faible de survenue d’HPM en contexte obstétrical, aucun HPM n’ayant été observé au décours des 79 837 APD réalisées : ce risque minoré peut s’expliquer par l’état d’hypercoagulabilité lié à la grossesse, par la quasi-absence de pathologie dégénérative rachidienne dans cette population jeune, ainsi que par la moindre prévalence de prise de traitement médicamenteux (anticoagulant et anti-agrégant plaquettaire en particulier)
– Un risque majoré d’HPM en contexte chirurgical : 7 laminectomies décompressives ont été effectuées au décours des 62 450 APD réalisées, soit une fréquence de survenue évaluée à 1/8 921 APD. Parmi ces 7 laminectomies, 5 ont été réalisées après APD thoracique, 2 après APD lombaire. Une a été faite au décours d’une technique péri-rachi combinée, 1 après une ponction durale accidentelle suivie de la mise en place d’un cathéter rachidien. La fréquence de survenue d’un HPM chirurgical varie selon les centres de 1/22 189 à ¼ 330 poses de cathéter. Le risque de réalisation d’une laminectomie décompressive est évalué à 11,2.10-5 (intervalle de confiance à 95 % : 4,5.10-5 – 23,1.10-5)
Dans tous les cas, le diagnostic d’HPM a été porté alors que le cathéter était encore en place (5 fois sur 7 durant les premières 24 heures). La symptomatologie clinique comportait un déficit moteur des membres inférieurs dans tous les cas, apparu de 11 à 71 h après la pose. La laminectomie a été réalisée dans un délai de 7 à 54 h après l’apparition des symptômes, sans que ce délai puisse préjuger des chances de récupération neurologique. Ce risque de séquelles est important (1/12 000 APD chirurgicales), 5 des 7 patients opérés ayant conservé des séquelles.
Impact net du traitement anticoagulant péri-opératoire
Le rôle du traitement anticoagulant péri-opératoire dans la survenue des HPM est important : 4 des 7 patients n’ont pas bénéficié d’une gestion du traitement anti-coagulant conforme aux recommandations de l’American Society of Regional Anesthesia, 2 des 7 patients avaient à la pose du cathéter un INR à 1,6.
Les caractéristiques démographiques des patients ont mis en évidence le recul de l’utilisation de l’APD en chirurgie orthopédique comparativement aux quinze années précédentes, et ce au bénéfice de son utilisation en chirurgie thoraco-abdominale majeure.
Néanmoins, à l’heure d’une conception plus « agressive » des traitements anticoagulants, et de l’utilisation de nouvelles techniques d’analgésie (infiltrations de la plaie opératoire, blocs périphériques), le rapport bénéfices-risques de l’APD doit être réévalué.
Dr Monique Carlier
Bateman B et coll. : The risk and outcomes of epidural hematomas after perioperative and obstetric epidural catheterization : a report from the multicenter perioperative outcomes research consortium. Anesth Analg., 2013; 116: 1380-5. doi: 10.1213/ANE.0b013e318251daed.
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