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La chronique de Nagib Aoun
Au nom d’Allah
lundi, décembre 5, 2011
Après la dictature des potentats, la dictature des islamistes ? Évanouie l’euphorie des premiers mois du printemps arabe, voici venu le temps des interrogations inquiètes, des remises en question, des réadaptations effectuées dans l’urgence.
Dans les pays occidentaux comme dans les États arabes, soudainement sortis de leur frilosité ancestrale, on ne s’était focalisé, dès le départ, que sur l’instant immédiat, sur l’avènement d’une ère nouvelle faite de démocratie réinventée et de liberté.
Des hourras ont accompagné la chute de Ben Ali, de Moubarak et de Kadhafi, des grincements de dents précèdent l’arrivée des islamistes au pouvoir, leur montée en puissance. Et pourtant, dans un pays comme dans l’autre, c’est le verdict des urnes qui a initié le changement, ce sont des élections libres, un mouvement populaire irrépressible qui ont propulsé les mouvances intégristes au-devant de la scène politique, à la tête des instances légales.
Tous ceux qui avaient appelé de leurs vœux l’effondrement des régimes totalitaires seraient malvenus, aujourd’hui, de critiquer les tombeurs des tyrans ou de souhaiter le gel du processus démocratique. Ils ne sont pas sans ignorer ce qu’il en a coûté à l’Algérie d’avoir torpillé les élections qui amenaient les islamistes au pouvoir : une atroce guerre civile et des dizaines de milliers de morts.
Que le « risque intégriste » ait pu être occulté au début du printemps arabe n’enlève rien à la réalité des choses, à l’évidence des faits. Des décennies d’oppression et d’humiliations, « l’embastillage » systématique des islamistes, l’aide énorme que ces mêmes islamistes ont assurée aux couches les plus défavorisées des populations arabes ont créé les conditions idéales à l’engrangement des gains, à la prise de bénéfices le moment venu.
Et pourtant, il est impératif de rappeler que le mouvement contestataire, celui qui a fait tache d’huile dans les pays arabes, a été déclenché par la société civile, laïcs et libéraux réunis, les islamistes se contentant de prendre le train en marche pour le conduire le plus légitimement du monde sur la voie des urnes.
Faut-il avoir peur des islamistes ? Qu’il s’agisse de la Tunisie ou du Maroc, de l’Égypte ou de la Libye, les partis vainqueurs, en l’occurrence les Frères musulmans et les mouvances affiliées, se sont efforcés de rassurer sur leurs intentions et de donner de leur action une image de réelle modération.
Des assurances favorablement accueillies dans les pays occidentaux, quoique de fausses notes et, parfois, des prises de position alarmantes ne cessent d’altérer les déclarations de bonne intention : c’est ainsi qu’en Libye, l’instauration de la charia et de la polygamie est ouvertement évoquée, en Tunisie les mouvances extrémistes descendent dans la rue pour exiger l’application par l’État des strictes règles religieuses, et en Égypte, les salafistes talonnent les Frères musulmans aux élections générales et ne cachent pas leur volonté d’imposer une théocratie où les coptes seraient relégués au rang de citoyens de seconde zone.
Faut-il donc avoir peur des islamistes ? La question est sérieusement posée et il serait irresponsable de l’éluder. Le paradoxe, aujourd’hui, c’est que les démocraties occidentales qu’effrayaient jusqu’à présent les Frères musulmans en sont arrivées, après la chute des dictateurs, à espérer que les anciennes brebis galeuses, devenues soudainement très fréquentables, se résoudront à contrer l’intégrisme radical.
Hier épouvantails, aujourd’hui « blanches colombes », les Frères musulmans ne sont pas sans ignorer que leur statut d’interlocuteur privilégié dépendra largement de la « bonne conduite » qui est attendue d’eux. Une conduite en conformité avec la diversité des courants qui ont constitué le printemps arabe, en adéquation avec la réalité des relations internationales
La planète, ne l’oublions pas, est devenue un grand village. Les idées circulent à une vitesse vertigineuse et les sociétés civiles révèlent chaque jour un peu plus les énormes potentialités dont elles sont détentrices. Les pays musulmans libérés de leurs tyrans ne peuvent évidemment pas vivre en autarcie, coupés des réalités du monde, à moins qu’ils ne deviennent l’otage des extrémistes de tout poil.
Ce serait alors catastrophique, et pour le monde arabe et pour les musulmans, pour le printemps arabe comme pour la démocratie.
On voit déjà Ben Ali et Moubarak ricaner, qui dans son exil, qui dans sa cellule ou sa chambre d’hôpital. Faut-il vraiment faire ce cadeau à Bachar el-Assad, lui qui n’a pas encore fini de plier bagage ?